Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,
Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges
Jeter l'ancre un seul jour ?
------
Ô lac ! l'année à peine a fini sa carrière,
Et près des flots chéris qu'elle devait revoir,
Regarde ! je viens seul m'asseoir sur cette pierre
Où tu la vis s'asseoir !
---------
Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes ;
Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés ;
Ainsi le vent jetait l'écume de tes ondes
Sur ses pieds adorés.
-----------
Un soir, t'en souvient-il ? nous voguions en silence ;
On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
Tes flots harmonieux.
------
Tout à coup des accents inconnus à la terre
Du rivage charmé frappèrent les échos,
Le flot fut attentif, et la voix qui m'est chère
Laissa tomber ces mots :
-------
« Ô temps, suspends ton vol ! et vous, heures propices,
Suspendez votre cours !
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours !
------
« Assez de malheureux ici-bas vous implorent ;
Coulez, coulez pour eux ;
Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent ;
Oubliez les heureux.
------
« Mais je demande en vain quelques moments encore,
Le temps m'échappe et fuit ;
Je dis à cette nuit : « Sois plus lente » ; et l'aurore
Va dissiper la nuit.
------
« Aimons donc, aimons donc ! de l'heure fugitive,
Hâtons-nous, jouissons !
L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive ;
Il coule, et nous passons ! »
------
Temps jaloux, se peut-il que ces moments d'ivresse,
Où l'amour à longs flots nous verse le bonheur,
S'envolent loin de nous de la même vitesse
Que les jours de malheur ?
----------
Hé quoi ! n'en pourrons-nous fixer au moins la trace ?
Quoi ! passés pour jamais ? quoi ! tout entiers perdus ?
Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface,
Ne nous les rendra plus ?
-------------------
Éternité, néant, passé, sombres abîmes,
Que faites-vous des jours que vous engloutissez ?
Parlez : nous rendrez vous ces extases sublimes
Que vous nous ravissez ?
-----------------
Ô lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure !
Vous que le temps épargne ou qu'il peut rajeunir,
Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,
Au moins le souvenir !
---------------------
Qu'il soit dans ton repos, qu'il soit dans tes orages,
Beau lac, et dans l'aspect de tes riants coteaux,
Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages
Qui pendent sur tes eaux !
------
Qu'il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe,
Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés,
Dans l'astre au front d'argent qui blanchit ta surface
De ses molles clartés !
-------------
Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire,
Que les parfums légers de ton air embaumé,
Que tout ce qu'on entend, l'on voit et l'on respire,
Tout dise : « Ils ont aimé ! »
-------------
5 commentaires
Commentaire de Arclusaz posté le 17-10-2012 à 09:25:28
Citer dans le même billet, Lamartine et Luis Fernandez, c'est un sacré exploit, j'aime beaucoup ce décalage !
Merci pour ce joli billet qui fait réfléchir.
j'ai fait des choix dans ma vie (parfois plus ou moins consciemment) pour tenter d'être riche du bien le plus précieux : celui qui s'use à chaque seconde et qu'on ne peut pas thésauriser, le Temps.
Pour le moment, je ne regrette pas (même si comme chaque avare, j'aimerais en avoir encore plus !)
Commentaire de Le Lutin d'Ecouves posté le 17-10-2012 à 15:21:56
C'est toujours un plaisir de lire des billets de culture et/ou de réflexion.
Quant au temps... c'est chez moi une obsession qui tourne parfois au toc. J'adore le maîtriser et en jouer. Actuellement, Arte diffuse une série sur le temps ou plutôt l'espace-temps. A voir, si on a le temps.
Commentaire de Mustang posté le 18-10-2012 à 11:39:08
à ce beau billet, j'ajoute ma contribution avec l'aide d'Henri Heurtebise
Flash
la ville
on marche
ils sifflent
un temps plus fort un temps plus haut
Flash
la ville
on monte
ils crient
un temps plus haut un temps plus raide
Flash
la ville
on sort
ils rentrent
un temps plus raide un temps plus vide
flash
la ville
on vient
ils vont
un temps plus vide un temps plus mort
Flash
la ville
on dort
ils freinent
un temps plus mort un temps plus haut
Henri HEURTEBISE
Commentaire de Jean-Phi posté le 18-10-2012 à 15:55:17
Très joli billet à lire et relire à temps perdu ou le temps d'un moment suspendu. Merci !
PS : J'adore Geluck et son humour. Ceci pour compléter ce superbe panachage dont tu nous agrées.
Commentaire de philkikou posté le 18-10-2012 à 16:13:19
.. et pour compléter !!! ??? t'as pas dû avoir le temps ;-)
D'un autre belge talentueux :
Je lui dis : - "Mais pourquoi courent-ils si vite ?"
Il me dit : - " Pour gagner du temps ! Comme le temps, c'est de l'argent, plus ils courent vite, plus ils en gagnent !"
Je lui dis : - "Mais où courent-ils ?"
Il me dit : - "À la banque ! Le temps de déposer l'argent qu'ils ont gagné sur un compte courant... et ils repartent toujours courant, en gagner d'autre !"
Je lui dis : - "Et le reste du temps ?"
Il me dit : - "Ils courent faire leurs courses... au marché !"
Je lui dis : - "Pourquoi font-ils leurs courses en courant ?"
Il me dit : - "Je vous l'ai dit... parce qu'ils sont fous !"
Il faut être connecté pour pouvoir poster un message.