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Où sont les limites du corps ? La conversation Scientifique Etienne Klein/France Culture

Par philkikou - 27-05-2017 23:16:56 - 3 commentaires

 

La Conversation scientifique par Etienne Klein

 

https://www.franceculture.fr/emissions/la-conversation-scientifique/ou-sont-les-limites-du-corps

 

 

Selon une étude de l'Institut de recherche biomédicale et d'épidémiologie du sport (Irmes) publiée en 2015, les performances stagnent. Non seulement les records se font de plus en plus rares mais l'écart entre eux s'affaiblit.


Un compétiteur de la Transvulcania, île de la Palma ( Canaries, Espagne) 7 mai 2016. Un trail long de 74,3 km pour un dénivelé positif de 4350 mètres.• Crédits : Désirée Martin - AFP

Dans le livre III de l’Ethique, Spinoza se demandait : Que peut un corps ? Et il répondit : « Personne n’en sait rien. En tout cas personne ne sait d’avance ce que peut un corps : l'expérience n'a jusqu'ici enseigné à personne ce que, grâce aux seules lois de la Nature, le corps peut ou ne peut pas faire, à moins d'être déterminé par l'esprit. Car personne jusqu'ici n'a connu la structure du corps assez exactement pour en expliquer toutes les fonctions. […]. En outre, personne ne sait de quelle manière ou par quels moyens l'esprit met le corps en mouvement, ni combien de degrés de mouvement il peut lui imprimer, et avec quelle vitesse il peut le mouvoir. D'où suit que les hommes, quand ils disent que telle ou telle action du corps a son origine dans l'esprit qui a de l'empire sur le corps, ne savent ce qu'ils disent et ne font qu'avouer ainsi, en termes spécieux, qu'ils ignorent la vraie cause de cette action et ne s'en étonnent pas ».

Depuis Spinoza, avons-nous progressé ? Savons-nous mieux ce que peut – et ne peut pas - un corps ? Y a-t-il des limites, et, si oui, avons-nous les moyens de les cerner ?

IInvités: Sébastien Chaigneau, sportif de haut-niveau, ultratrailer; Jean-François Toussaint, médecin, cofondateur et directeur de l’IRMES, l’Institut de Recherche bioMédicale et d’Epidémiologie du Sport ; et Bertrand Piccard, psychiatre et aéronaute, connu pour avoir réussi le premier tour du monde en ballon.

Intervenants

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Etienne Klein et son métier

 

http://www.futura-sciences.com/sciences/personnalites/physique-etienne-klein-101/

 

Je n'ai pas le souvenir d'avoir éprouvé, enfant, le désir de devenir physicien. Issu d'une famille nombreuse peu portée sur les sciences, je connaissais d'ailleurs à peine la signification de ce mot. En revanche, je me souviens très bien de mes premières joies intellectuelles, lorsque j'étais adolescent, au collège puis au lycée : une démonstration mathématique qui devenait soudain lumineuse ; la lecture des premières pages du Discours sur l'origine de l'inégalité entre les hommes de Rousseau qui me faisait découvrir l'argumentation philosophique... À chaque fois, c'était comme une révélation, un choc : l'émotion me faisait palpiter et courir jusqu'au frigidaire familial pour y chercher le calme d'un jus d'orange.

 

Comprendre, sentir la portée d'une idée, découvrir la clé d'un raisonnement, cela m'a toujours procuré un bonheur sans équivalent : j'aime que les choses me soient rendues claires. Je me souviens de certains de mes professeurs remarquables de ce point de vue : ils veillaient à ce que la lampe du jeune entendement des élèves que nous étions soit toujours remplie d'huile et brûle. Par effet de contraste, je détestais les discours fumeux. Sans le savoir, j'étais déjà disciple de Wittgenstein : « Ce qui peut se dire peut se dire clairement. »

 

La physique ne m'a attiré que tardivement. Au lycée, je n'étais pas à l'aise avec l'aspect expérimental des choses. Je n'ai pas le moindre don de bricoleur (Pascal, mon frère aîné, avait récupéré pour lui seul tout le capital familial) : au cours des travaux pratiques, la seule idée d'avoir à mettre sous tension un circuit électrique que j'avais monté moi-même me terrifiait, surtout après que j'eus involontairement « cramé » un oscilloscope de grande valeur. Mais j'étais bon en maths, et comme la physique nous était enseignée comme une sorte de mathématique appliquée, j'étais également bon en physique : dans les devoirs, il ne s'agissait que de poser des équations, de les résoudre, et d'encadrer le résultat en rouge.

 

À l'Ecole Centrale, je me suis vite demandé que faire par la suite. Tout m'intéressait un peu et rien ne m'intéressait vraiment. J'étais encore un être indéterminé. Alors je me suis cherché au travers de toutes sortes d'expériences : je suis devenu visiteur de prison, je sortais beaucoup, je m'entraînais aussi très dur au marathon, jusqu'à l'épuisement. Après deux années de classes préparatoires, je voulais découvrir l'humanité et cerner mes limites. Je lisais énormément, deux ou trois livres par semaine. J'étais très déçu par l'enseignement : trop de disciplines techniques, toutes présentées dans une perspective utilitariste, pas assez d'envol intellectuel, pas assez de « souffle ». J'ai compris que je ne serai pas ingénieur.

 

Mais alors, que faire ? J'ai commencé à suivre des cours de philosophie à la Sorbonne, en auditeur libre, par amour pour une jeune fille qui préparait l'agrégation (je prenais des notes pour elle). Là, je vibrais : enfin, on me parlait du monde, de la vie, de l'homme, de la pensée. Mais je sentais aussi que la philosophie s'accordait trop de degrés de liberté, que pour elle trop de systèmes étaient possibles. Les raisonnements étaient rigoureux, certes, mais il y avait toujours de l'arbitraire dans les principes. C'est à ce moment là, au cours d'un séjour à l'hôpital, qu'un ami bien inspiré m'offrit un livre merveilleux de Bernard d'Espagnat : À la recherche du réel, le regard d'un physicien. Je découvris ainsi que la physique, quand elle est prise dans son entier, avec son histoire, ses problèmes, ses personnages, est un véritable levain de culture et, surtout, qu'elle permet de faire « des découvertes philosophiques négatives », pour parler comme Maurice Merleau-Ponty, en montrant que certaines affirmations qui prétendent à une validité philosophique n'en ont pas en vérité. La physique n'est pas une philosophie, mais elle peut détruire certains préjugés de la pensée philosophique. Elle ne pose pas de concepts de droit, mais elle est capable d'inventer des biais pour pallier la carence des concepts traditionnels. Elle provoque ainsi la philosophie, s'incruste dans certains de ses débats et y joue parfois le rôle d'arbitre.

 

J'ai dévoré ce livre en annotant chacune de ses pages. Il m'a précipité vers les problèmes d'interprétation de la physique quantique, qui me « tiendront » pendant une bonne décennie. Pourquoi la physique quantique m'a-t-elle tant fasciné ? Sans doute parce que, plutôt que de fournir des idées toutes faites, elle montre la difficulté d'une pensée ferme et, surtout, elle permet d'apercevoir sous un jour nouveau certains horizons trop connus de la pensée.

 

Un second choc survint quelques mois après lecture décisive de À la Recherche du réel. À l'époque, je n'avais pas d'autre revenu que ce que me rapportaient les cours particuliers que je donnais ici ou là. C'était insuffisant pour payer le loyer de ma chambre d'étudiant. J'étais donc à la recherche d'un stage d'été bien rémunéré. Par hasard, je tombai un jour sur une affiche du CERN, le grand laboratoire européen de physique des particules, qui proposait aux étudiants de toute l'Europe des séjours d'été de deux mois à Genève : il s'agissait de suivre des cours le matin et de participer aux travaux d'une équipe de physiciens l'après-midi. Je déposai aussitôt un dossier, qui fut accepté.

 

Par un beau dimanche après-midi de juin, je débarquai donc au pays des banques et posai mes valises dans une résidence de travailleurs immigrés. Dès le lendemain matin, on me fit visiter les gigantesques accélérateurs de particules tapis dans les profondeurs du calme paysage bordant la frontière franco-suisse. Dans un tube métallique long de plusieurs kilomètres, gainé de blindage, des protons circulaient à une vitesse folle, proche de celle de la lumière, et venaient régulièrement percuter un autre faisceau d'antiprotons tournant en sens inverse. Bourrées jusqu'à la moelle d'énergie cinétique, ces particules provoquaient par leurs chocs l'émergence d'autres particules fugaces. D'énormes détecteurs multicolores, ronronnants et clignotants, recueillaient leurs traces. Je découvris tout cela bouche bée. Comment la physique avait-elle pu en arriver à tant de sophistication ? Pourquoi de si grosses machines pour déceler de si petites particules ? Et surtout, pourquoi ne m'avait-on jamais parlé de tout cela ? D'un coup, j'ai voulu tout comprendre de ce que je voyais.

 

Le premier cours de physique des particules nous fut donné par Victor Weisskopf. Ancien assistant de Wolfgang Pauli dans les années 1930, cet éminent physicien théoricien avait un charme fou, un humour ravageur et un enthousiasme de jeune homme. Il commença par nous expliquer d'un air très détaché qu'il avait passé une bonne partie de sa vie à s'interroger sur la réalité physique des objets mathématiques : avaient-ils une contrepartie dans le monde ou ne constituaient-ils que des idéalités angéliques ? N'étaient-ils qu'une invention humaine ou révélaient-ils le « fond des choses » ? Weisskopf nous avoua qu'il ne connaissait pas la réponse à ces questions.

 

Puis il commença son cours proprement dit, qui portait -je m'en souviens comme si c'était hier - sur le spin des particules. Au bout d'un quart d'heure, pour les besoins d'une démonstration, il fut amené à se saisir d'une craie et à tracer au tableau un repère à trois dimensions. Suivant la coutume, il représenta les axes Ox et Oy dans le plan même du tableau, puis figura l'axe Oz, perpendiculaire au tableau, par un point entouré d'un cercle, donnant l'impression que cet axe pointu jaillissait telle une flèche hors du tableau. Quelques instants plus tard, alors qu'il s'apprêtait à passer devant la figure qu'il avait tracée, lui qui était immense se baissa avec ostentation pour passer sous l'axe Oz. Une fois relevé, il se tourna vers nous pour nous souffler malicieusement : « On ne sait jamais, l'axe Oz existe peut-être vraiment ».

 

Pour moi, c'est avec ce gag que la messe fut dite : j'étudierai le monde de l'infiniment petit, j'enseignerai la physique d'une façon si possible vivante et originale, et je tenterai de questionner avec malice ses implications philosophiques.

 

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Etienne Klein et la montagne

Article / underground - le, 31/03/2014

http://www.ultramag.fr/article/2014-03-31-lultra-trail--cest-une-forme-de-retour--e-lautorite--du-corps

L’ULTRA-TRAIL C’EST UNE FORME DE RETOUR À L’AUTORITÉ DU CORPS

UNDERGROUND | LA PAROLE À…

Centralien, physicien, docteur en philosophie des sciences, chroniqueur sur France Culture, on pourrait qualifier Etienne Klein de pur esprit. À 55 ans, ce passionné de montagne est également alpiniste et ultra-trailer. De Spinoza à Deleuze, de Néanderthal à la physique quantique, entretien avec un « finisher ».



Vous avez découvert la montagne assez tard. Comment s’est passé cette découverte ?

 J’ai commencé par la randonnée à partir de 20 ans. Je n’avais en effet jamais mis les pieds en montagne avant. J’ai eu un coup de foudre. Je venais de la région parisienne. Nous étions trop nombreux dans ma famille pour que mes parents nous emmènent à la montagne. Je me suis senti tout de suite bien, dès que j’ai fait le Tour du Mont-Blanc avec l’UCPA1 à l’époque. L’alpinisme me semblait inacces- sible. J’étais tenté, mais je me suis dit que ce n’était pas pour moi. Quand on n’a pas de filiation dans ce genre de pratique, on se dit que ce sont des extra-terrestres, des post-humains.

Vous utilisez la physique pour proposer une autre lecture de la philosophie. Qu’est- ce que la philosophie peut nous apprendre ?

Je ne sais pas ce que ça vaut mais il y a une classification des paysages en fonc- tion des systèmes philosophiques auxquels on adhère. Les Nietzschéens aiment bien les alpages, les Kantiens aiment bien les arêtes, quand il n’y a plus de végétation parce que là au moins on est débarrassé de tous les oripeaux faciles lorsqu’on traite les concepts de « basse altitude ». On a directement accès à ce qui est fondamental dans ce qui est élevé.



J’aimerais que vous me parliez de votre métier…

J’ai passé pas mal d’années à faire de la physique. Et les années où je faisais de la physique c’était aussi les années où je faisais de l’alpinisme. En 2000 j’ai passé une thèse de philo sur la physique. J’ai commencé à m’intéresser non pas tellement à la physique en tant que domaine de recherche, mais, finalement, à ce que la physique nous apprend sur des notions que les philosophes traitent par ailleurs. Par exemple le temps ou autre chose… est-ce que la physique produit des résultats qui peuvent percuter la pensée philosophique ? Quitte éventuellement à la modifier. Donc ce n’est plus tout à fait le même métier. C’est plus « Je veux trouver des choses », qu’est-ce que les équations de la physique diraient en langage commun si elles pouvaient parler du temps… C’est un problème de décryptage et ensuite un problème de traduction parce qu’il faut ramener la physique dans un langage que les philosophes peuvent comprendre. Et en fait le moment où j’ai commencé à faire ça correspond au moment où j’ai commencé l’ultra-trail. L’ultra- trail est à l’alpinisme ce que la philosophie de la physique est à la physique. C’est le même truc mais vécu autrement. L’ultra-trail, ce n’est pas de l’alpinisme mais ça se passe au même endroit. C’est une autre façon d’être en montagne. De la même façon que de faire de la phi- losophie physique c’est une autre façon d’être dans la physique. C’est plus doux. L’ultra- trail, c’est une autre façon de lire la montagne.

La recherche est cérébrale, la montagne est liée à l’effort physique. Qu’est-ce qui vous attire dans celui-ci ?

Je connais beaucoup de physiciens qui détestent l’effort physique, et j’en connais au contraire qui aiment. Je pourrais inventer des liens mais ce serait artificiel. Moi j’aime bien l’endurance, j’aime bien les sports d’agonie, j’aime bien l’épuisement, j’aime bien avoir le sentiment, après une belle balade en montagne, de se retrouver dans un refuge. Une belle sortie à vélo, se retrouver complètement rincé avec un appétit tel qu’on a envie de manger la table.

L’ULTRA-TRAIL  C’EST UNE FORME DE RETOUR À  L’AUTORITÉ  DU CORPS

Est-ce que l’effort du montagnard inspire celui de l’écrivain ?

Après une course en montagne on est va- chement bien pour écrire. Il y a une espèce de remise à zéro du corps, une sorte de reset intellectuel qui permet de reprendre les sujets à neuf, d’avoir une forme de créativité dans l’écriture. Une revitalisation intellectuelle. Je pense qu’on est fait pour être épuisé de temps en temps. Nos fatigues sont souvent psychologiques. Ce qu’on apprend avec l’ultra-trail c’est que pour être fatigué physiquement, et seulement physiquement, il faut vraiment donner. Nos fatigues, surtout à Paris, sont des fatigues psychiques. L’ultra-trail, c’est la version ludique de ce que faisait Néanderthal quand il allait chasser. Il partait trois jours, il n’avait pas grand chose dans le ventre, il cavalait un peu… il y a des sports qui sont plus pratiqués que l’ultra-trail, comme le tennis ou le foot, qui sont des sports que Néanderthal ne pratiquait pas. Mais moi j’ai l’idée naïve selon laquelle il faut pratiquer des sports que Néanderthal pratiquait. Parce que le corps est fait pour.

Comment la liberté s’exprime dans l’ultra-trail ?

La sensation de liberté n’est pas inconsciente. Je sens que je suis libre, je m’éprouve libre. Ça vient tout de suite, je sais que je ne vais pas être dérangé, il n’y aura pas de coup de téléphone… ça ne veut pas dire que je suis tranquille et rassuré. La première moitié de la TDS*, j’étais malade, pas hyper à l’aise, mais il y avait cette sensation de liberté. On est libre d’aller à telle ou telle vitesse, de regarder telle ou telle chose. On est en train de vivre quelque chose qui ne correspond pas aux expériences qu’on peut avoir dans la vie quotidienne, par exemple au travail. Il y a quelque chose qui procède de l’affirmation libre de soi. On n’est pas en train d’essayer de faire plaisir à quelqu’un d’autre, on n’est pas en train d’exécuter un ordre ou un programme. On est juste là pour faire ce qu’on a décidé de faire. Pour moi l’ultra-trail c’est un désir décidé. Ce n’est pas un caprice, c’est un truc que j’ai décidé de faire, et l’ayant décidé, je sais que sauf grave accident j’irai jusqu’au bout, que je n’abandonnerai pas.

L’ULTRA-TRAIL,  C’EST LA VERSION LUDIQUE DE CE QUE FAISAIT NÉANDERTHAL QUAND IL ALLAIT  CHASSER

Est-ce que décider l’abandon est un choix qui participe de cette liberté là ?

Ce que j’ai appris dans le trail, c’est qu’on peut aller mal… et puis ne plus aller mal. J’ai découvert la réversibilité du mal. La première fois que j’ai couru un ultra-trail, j’avais très mal à un genou, et pour moi il était évident que si je continuais la course j’allais me péter le genou. J’ai abandonné avec la conviction que j’allais me péter quelque chose. En fait, dès le lendemain, j’allais très bien, je n’avais plus mal… Les années suivantes, j’ai éprouvé le fait qu’on peut par effet tunnel passer de l’épuisement absolu à une forme de renaissance qui peut même être euphorique. C’est une très belle expérience, c’est l’expérience de la résurrection, à un petit niveau. Je ne fais pas de correspondance avec la passion christique
mais c’est quand même l’expérience de la résurrection du corps par l’âme. J’avais écrit un article dans Philosophie Magazine en expliquant que dans L’Éthique de Spinoza il y a un texte magnifique qui s’intitule « Que peut le corps ? » Il répond qu’il ne sait pas, parce qu’on ne connaît pas bien le couplage entre le mental, qu’il appelle, lui, l’esprit ou l’âme, et le corps. Donc on ne peut pas savoir ce que le corps peut faire, puisque l’âme contribue à son action. Deleuze a commenté ce texte en disant : « Ce que peut ton corps, ce n’est pas ce qu’il peut en tant que corps, c’est ce que tu peux toi. » C’est la phrase clé. Moi par exemple, je n’ai pas un corps pour faire ça. Ça ne dépend pas de mon corps, ça dépend de moi.

TOUS LES  VISAGES SONT BEAUX, ET LES REGARDS AUSSI, ILS EXPRIMENT  UNE ÉMOTION, UNE HISTOIRE

Comment est-ce que cela s’est traduit pendant vos expériences d’ultra-trailer ?

Durant la première partie de la course, on est spinoziste : l’âme et le corps font un tout. L’âme et le corps sont solidaires du même désir. Puis il y a un moment où la fatigue arrive, et là je pense que l’on devient cartésien. L’esprit s’adresse au corps. J’ai déjà eu une expérience de dédoublement comme ça, en alpinisme. On avait été pris dans une tempête, on risquait notre peau, je n’étais pas sûr de rentrer vivant. Je me souviens que je parlais à mon corps : « Tu déconnes pas ! » Il y avait vraiment un dédoublement. Dans le trail, avec moins d’intensité et moins de gravité, j’ai eu la même expérience quand j’étais au pied de la Tête aux vents. Pour un débutant, quand on a près de cent bornes dans les pattes, c’est difficile. J’ai dit à mon corps : « Si tu m’aimes, suis-moi. »

Est-ce que vous vous étonnez  aujourd’hui de ce que vous parvenez à  réaliser ?

Quand j’ai vu Marco Olmo en 2007 arriver, vainqueur de l’UTMB*, je me suis demandé qui c’était. On m’a expliqué qu’il avait fait 166 km en 21 h. Il avait 58 ans. Plus vieux que moi ! J’ai ressenti en tant que spectateur une émotion incroyable. Le jour même je décidais de m’inscrire. Je savais que je ne pouvais pas le faire mais je voulais le faire. J’ai vu des gens pleurer dans la foule, cer- tains qui pleurent lors du départ. Ce truc là m’intéresse. Les visages des gens qui arrivent sont très beaux, quelles que soient les marques de fatigue. Tous les visages sont beaux, et les regards aussi, ils expriment une émotion, une histoire. Et quand on est spectateur on regarde ces gens et on sait qu’ils ont vécu une histoire. Les premiers comme les derniers. Ça les rend pathétiques, au sens noble du terme.

Avez-vous couru d’autres trails ?

Non. Pour moi le trail est attaché à l’église de Chamonix, c’est un rituel, une sorte de prière cosmique. C’est ma prière annuelle au cosmos. Et en même temps l’expres- sion d’une reconnaissance pour ce massif dans lequel j’ai vraiment vécu des choses incroyables.

CE QUE PEUT TON CORPS,  CE N’EST PAS CE QU’IL PEUT  EN TANT QUE CORPS,  C’EST CE QUE TU PEUX TOI.

Vous avez fait des marathons avant d’aller dans la montagne. En referez-vous ?

Plus jamais ça ! Je ne veux plus courir sur route. Et je ne veux plus courir sur le plat. Je ne peux plus. J’aime bien les pentes. J’aime plutôt les montées, je n’aime pas les descentes. D’ailleurs, si on pouvait faire un jour un ultra-trail sans les descentes, je pense que pour moi ce serait beaucoup mieux, et que je terminerais en bonne place.

Autant on vous sent très réfléchi dans votre métier autant on vous sent très intuitif dans votre pratique sportive…

j’aurais pensé que vous auriez repris les mêmes mécanismes cérébraux mais en fait c’est quasiment le contraire… est-ce que le sport est une soupape ?  Oui, il est une forme de sauvagerie. Les physiciens sont souvent des gens qui oublient qu’ils ont un corps. L’ultra-trail c’est une forme de retour à l’autorité du corps. Pour moi c’est une expérience qui relève d’une complémentarité indispensable. Si par exemple on me disait que pendant un été je ne peux pas mettre les pieds en montagne, j’en serais vraiment malade, j’aurais un problème psychique.

Alors, objectif UTMB bientôt ?

Si la TDS se passe bien, je ferai l’UTMB l’année prochaine

 

 

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